CISG-FRANCE
Cour de cassation - première chambre civile |
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1er décembre 2010 |
M.
Peter X. et Mme Julie Y. épouse X. contre |
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Cour de cassation
chambre civile 1
Audience
publique du mercredi 1 décembre 2010
N° de
pourvoi: 09-13303
Publié au bulletin Rejet
M. Charruault (président),
président
SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, SCP Boré et Salve de
Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses cinq branches :
Attendu que les époux X..., de nationalité américaine et
vivant aux Etats-Unis, ont demandé en France, l'exequatur d'une
décision rendue le 26 février 2003 par la Cour suprême de
Californie (comté de Alameda) ayant condamné la
société française Fountaine Pajot, à leur verser
une somme de 3 253 734,45 USD, se décomposant en 1 391 650,12 USD, pour
la remise en état du bateau fabriqué par la société
française qu'ils avaient acheté 826 009 USD, 402 084,33 USD pour
les frais d'avocats et 1 460 000 USD, à titre de
dommages-intérêts punitifs ;
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt
attaqué (Poitiers, 26 février 2009), rendu sur renvoi
après cassation (Civ. 1re, 22 mai 2007, pourvoi n° 05-20.473)
d'avoir dit que la décision contrevenait à l'ordre public
international de fond et de les avoir déboutés de leur demande en
exequatur, alors, selon le moyen :
1°/ qu'une décision étrangère condamnant une partie
à paiement de dommages-intérêts punitifs n'est pas, par
principe, contraire à l'ordre public international de fond ; qu'en
jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du
code civil, 509 du code de procédure civile et les principes
régissant la procédure d'exequatur ;
2°/ que la cour d'appel a expressément relevé que le choix de
la loi californienne désigné au contrat n'est pas frauduleux et
s'impose à M. et Mme X... et à la société Fountaine
Pajot ; qu'en se fondant, pour dire que la décision de la Superior Court
of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à
l'ordre public international de fond, sur les termes de l'article 74 de la
Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de
marchandises, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences
légales de ses propres constatations, a violé, par refus
d'application, les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de
procédure civile et les principes régissant la procédure
d'exequatur, et, par fausse application, l'article 74 de la Convention de
Vienne ;
3°/ qu'en toute hypothèse, la Convention de Vienne du 11 avril 1980
sur la vente internationale de marchandises n'est pas applicable aux ventes de
marchandises achetées pour un usage personnel ou familial ni à la
vente de bateaux ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que M.
et Mme X... ont acheté un catamaran pour un usage privé et
familial ; qu'en se fondant sur la Convention de Vienne pour dire que la
décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26
février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond,
la cour d'appel a violé par fausse application les articles 25 et 74 de
la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de
marchandises ;
4°/ que le contrôle de la conformité de la décision
étrangère à l'ordre public international est exclusif de
sa révision au fond ; qu'en se fondant sur le droit commun
français de la responsabilité civile et du droit des contrats
pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of
Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public
international de fond, la cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du
code civil, 509 du code de procédure civile et les principes
régissant la procédure d'exequatur ;
5°/ qu'en affirmant qu'une indemnité, allouée par une
décision étrangère à l'acheteur d'un bateau,
dépassant largement son prix d'achat, est disproportionnée en ce
qu'elle lui procure un enrichissement sans cause sans rechercher, comme elle y
était pourtant invitée (conclusions récapitulatives
d'appel signifiées le 16 décembre 2008, p.18 et s.), si, compte
tenu de l'impossibilité absolue pour M. et Mme X... d'utiliser un bateau
acquis dix ans auparavant moyennant un prix versé en totalité de
690.000 $, du comportement dolosif de la société Fountaine Pajot,
vendeur et fabricant du bateau, qui leur a dissimulé les avaries
l'affectant, faisant courir aux acheteurs et à leurs enfants des risques
pour leur vie évidents, a été définitivement
condamnée pour cela et s'est abstenue de faire exécuter toute
réparation, la condamnation du vendeur à paiement d'une
indemnité dépassant le prix du navire n'était finalement
pas justifiée et partant proportionnée, la cour d'appel a
privé sa décision de toute base légale au regard des
articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et des
principes régissant la procédure d'exequatur ;
Mais attendu que si le principe d'une condamnation à des
dommages-intérêts punitifs, n'est pas, en soi, contraire à
l'ordre public, il en est autrement lorsque le montant alloué est
disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements
aux obligations contractuelles du débiteur ; qu'en l'espèce,
l'arrêt relève que la décision étrangère a
accordé à l'acquéreur, en plus du remboursement du prix du
bateau et du montant des réparations, une indemnité qui
dépasse très largement cette somme ; que la cour d'appel a pu en
déduire que le montant des dommages-intérêts était
manifestement disproportionné au regard du préjudice subi et du
manquement aux obligations contractuelles de sorte que le jugement
étranger ne pouvait être reconnu en France ; que le moyen ne peut
être accueilli ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi
éventuel :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne les époux X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre
civile, et prononcé par le président en son audience publique du
premier décembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux
Conseils, pour les époux X... , demandeurs au pourvoi principal
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la
décision de la Superior Court of California- County of Alameda du 26
février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond
et d'AVOIR débouté Monsieur Peter X... et Madame Julie Y...
épouse X... de leur demande en exequatur de la décision rendue le
février 2003 par la Superior Court of California - County of Alameda
condamnant la Société Fountaine Pajot à leur verser la
somme de 3.253.734, 45 USD plus les intérêts de 381, 01 USD par
jour à compter du 10 février 2003 ;
AUX MOTIFS QUE les intimés opposent à bon droit la
contrariété à l'ordre public international d'une telle
décision qui, statuant dans un litige né d'une vente
internationale à raison des défauts présentés par
le bien vendu, condamne le fabricant du navire à payer aux
propriétaires de celui-ci, en sus de dommages-intérêts
compensatoires en réparation de leur entier préjudice comprenant
notamment les réparations de remise en état du navire et leurs
honoraires d'avocats, des dommages-intérêts punitifs sanctionnant
le fait pour le fabricant d'avoir vendu un navire sans avoir
déclaré aux acquéreurs qu'il avait été
endommagé et avait fait l'objet de réparations ; qu'au surplus,
comme le font valoir les intimés, la cour observe que le montant de ces
derniers, calculé comme il a été énoncé, est
manifestement disproportionné pour être très largement
supérieur, d'une part, au prix de vente, d'autre part, au montant
même des dommages-intérêts compensatoires alloués au
titre de la réparation de l'entier préjudice subi ; qu'en effet,
en premier lieu, aux termes de l'article 74 de la Convention de Vienne sur les
contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 applicable en
la cause, si est retenue la thèse des époux X... selon laquelle
la vente est intervenue entre eux et la Société Fountaine Pajot
«les dommages-intérêts pour une contravention au contrat
commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain
manqué par l'autre partie par suite de la contravention. Ces
dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à
la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait
prévu ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du
contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait
dû avoir connaissance, comme étant des conséquences
possibles de la contravention au contrat» ; qu'en l'espèce, les
dommages-intérêts punitifs prononcés dépassent la
perte subie ou le gain manqué ainsi définis ; qu'en second lieu,
en droit français, le propre de la responsabilité civile est de
rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit
par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait
trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ;
qu'à cet égard, le montant de l'indemnité ne peut
être déterminé par l'importance de la faute, pas plus que
par la situation financière de l'auteur du dommage ; qu'enfin, une
décision étrangère qui accorde à un
acquéreur les sommes nécessaires à la réparation
des défauts du navire qu'il a acheté, qui compense les diverses
sources de préjudices subis à raison de ces défauts et de
l'instance qui a été nécessaire pour en obtenir
réparation, et qui, en sus, alloue, à titre de sanction, une
indemnité qui dépasse largement le prix du navire objet de la
vente, permet à cette victime de s'enrichir d'une manière telle
que cet enrichissement est dépourvu de cause et que la partie qui
supporte une telle sanction civile peut justement faire valoir qu'est atteint
le principe de proportionnalité des délits et peines garanti par
l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que
si les époux X... font exactement valoir que la Société
Fountaine Pajot connaissait le risque de subir une telle sanction aux
Etats-Unis d'Amérique, puisque la prise en charge des dommages punitifs
prononcés aux USA était expressément exclue des risques
garantis par la police de responsabilité civile qu'elle avait souscrite
auprès de la Société Allianz, ce qui n'avait pu qu'attirer
son attention sur le droit local prévoyant une telle mesure, il n'en
demeure pas moins que le principe ou le montant d'une telle sanction
dépassant la réparation du préjudice subi, n'était
pas accepté contractuellement ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement
qui a refusé l'exequatur d'une telle décision ; que le sens de la
présente décision dispense la cour de se prononcer sur la demande
de garantie présentée par la Société Fountaine
Pajot et la demande portant sur les intérêts de la condamnation
prononcée par la décision présentée à
l'exequatur ;
ALORS QUE, D'UNE PART, une décision étrangère condamnant
une partie à paiement de dommages-intérêts punitifs n'est
pas, par principe, contraire à l'ordre public international de fond ;
qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 3 et 15
du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes
régissant la procédure d'exequatur ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, la Cour d'appel a expressément relevé
que le choix de la loi californienne désigné au contrat n'est pas
frauduleux et s'impose à Monsieur et Madame X... et à la
Société Fountaine Pajot ; qu'en se fondant, pour dire que la
décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26
février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond,
sur les termes de l'article 74 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur
la vente internationale de marchandises, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré
les conséquences légales de ses propres constatations, a
violé, par refus d'application, les articles 3 et 15 du code civil, 509
du code de procédure civile et les principes régissant la
procédure d'exequatur, et, par fausse application, l'article 74 de la
Convention de Vienne ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, en toute hypothèse, la Convention de
Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises n'est pas
applicable aux ventes de marchandises achetées pour un usage personnel
ou familial ni à la vente de bateaux ; qu'en l'espèce, il n'est
pas contesté que Monsieur et Madame X... ont acheté un catamaran
pour un usage privé et familial ; qu'en se fondant sur la Convention de
Vienne pour dire que la décision de la Superior Court of California -
County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public
international de fond, la Cour d'appel a violé par fausse application
les articles 25 et 74 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente
internationale de marchandises ;
ALORS QUE, DE QUATRIEME PART, le contrôle de la conformité de la
décision étrangère à l'ordre public international
est exclusif de sa révision au fond ; qu'en se fondant sur le droit
commun français de la responsabilité civile et du droit des
contrats pour dire que la décision de la Superior Court of California -
County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public
international de fond, la Cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du
code civil, 509 du code de procédure civile et les principes
régissant la procédure d'exequatur ;
ALORS, ENFIN, QU'en affirmant qu'une indemnité, allouée par une
décision étrangère à l'acheteur d'un bateau,
dépassant largement son prix d'achat, est disproportionnée en ce
qu'elle lui procure un enrichissement sans cause sans rechercher, comme elle y
était pourtant invitée (conclusions récapitulatives
d'appel signifiées le 16 décembre 2008, p.18 et s.), si, compte
tenu de l'impossibilité absolue pour Monsieur et Madame X... d'utiliser
un bateau acquis dix ans auparavant moyennant un prix versé en
totalité de 690.000 $, du comportement dolosif de la
Société Fountaine Pajot, vendeur et fabricant du bateau, qui leur
a dissimulé les avaries l'affectant, faisant courir aux acheteurs et
à leurs enfants des risques pour leur vie évidents, a
été définitivement condamné pour cela et s'est
abstenue de faire exécuter toute réparation, la condamnation du
vendeur à paiement d'une indemnité dépassant le prix du
navire n'était finalement pas justifiée et partant
proportionnée, la Cour d'appel a privé sa décision de
toute base légale au regard des articles 3 et 15 du code civil, 509 du
code de procédure civile et des principes régissant la
procédure d'exequatur.
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de la
société AGF-IART, devenue la société Allianz IARD,
demanderesse au pourvoi incident éventuel
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le
litige opposant le fabricant du catamaran, la société Fountaine
Pajot, aux sous-acquéreurs du navire, les époux X..., se
rattachait à l'Etat de Californie de manière
caractérisée ;
Aux motifs que les demandeurs à l'action ont leur domicile en Californie
et la nationalité américaine ; qu'ils ont attrait devant le juge
de son propre domicile, lieu de son activité, la société
de droit américain CRUISING CATS et son animateur ou
représentant, M. Rob Z..., dont ils étaient fondés
à croire qu'il n'avait agi qu'en qualité d'agent de la
société FOUTAINE PAJOT, simple intermédiaire ayant pris la
commande pour le compte du fabricant ; qu'à cet égard, le contrat
de vente signé le 14 juillet 1999 en Californie par les
acquéreurs énonce des obligations pesant sur le fabricant au
bénéfice direct des acquéreurs, notamment la fourniture
d'un dessin professionnel de l'aménagement dans la semaine suivant la
réception par lui du contrat de vente ; que les acquéreurs ont eu
des rapports directs avec le fabricant comme le démontre la pièce
intitulée «order notification» datée du 8 juin 1999
du siège de la société FOUTAINE PAJOT et adressée
à «Peter & Julie» leurs prénoms ; qu'il ressort
d'ailleurs notamment de la pièce intitulée «1999 Marquises
56 Options list» du 28 juin 1999 que le catamaran était construit
sur mesure pour les époux X... et que ceux-ci ont entendu choisir des
options dont le prix était négocié par eux avec le
chantier, l'agent se bornant à transmettre les offres ; qu'il a
d'ailleurs été convenu d'une remise sur le prix en contrepartie
de l'engagement des acquéreurs de rendre le voilier disponible pour le
salon nautique de Miami en février 2000 ; qu'enfin, les parties au
contrat ont entendu expressément soumettre celui-ci au droit de l'Etat
de Californie et la convention jointe au contrat, intitulée
«Limited Warranty» qui définit l'étendue de la
garantie et en organise les conditions de mise en oeuvre, attribue
compétence aux tribunaux de l'Etat de Californie ;
Alors qu'en vertu d'une règle matérielle du droit international
privé français, l'insertion d'une clause attributive de
juridiction dans un contrat international fait partie de l'économie de la
convention et s'impose tant aux parties qu'à leurs ayants cause ;
qu'ainsi que le faisait valoir la société AGF IART, en
l'espèce, le contrat du 23 novembre 1999 conclu entre la
société Fountaine Pajot et son revendeur américain, la
société Cruising Cats, comportait une clause attributive de
juridiction au profit du tribunal de commerce de La Rochelle (France), clause
dont la société Fountaine Pajot s'était prévalue
expressément ; qu'en se dispensant de rechercher, comme l'y invitait
pourtant la société AGF IART, si cette clause, opposable aux
époux X..., sous-acquéreurs du catamaran fabriqué par la
société Fountaine Pajot et vendu par celle-ci à la
société Cruising Cats, n'avait pas eu pour effet de
conférer compétence exclusive au juge français pour connaître
du litige les opposant, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale au regard de l'article 1134 du code civil.
Publication :
Décision
attaquée : Cour d'appel de Poitiers du 26 février 2009